Archives. ISSN 2428-6052.
Les cymbales immobiles du concert de Montreux, les pads octogonaux sont frappés mais tremblent à peine, de puissantes vis les serrent, les crash et les splash dorés ne seront pas touchées, c’est la New Wave qui veut ça, Lee Harris est torse nu et ça ne sert à rien, pas plus que les cheveux longs du guitariste, les sauts à pieds joints de Paul Webb à la basse. Seul Mark Hollis est intemporel, chemise, cheveux mi-longs mal attachés d’abord puis très vite complètement décoiffés, et surtout ses lunettes noires. Rien ne passe, ni dans un sens, ni dans l’autre, le batteur est torse nu et ça ne sert à rien, il produit des vagues qui ne font pas de vagues, sauf à quelques moments, dans l’ensemble des percussions il y a un peu de bois, des cordes ailleurs. C’est Talk Talk d’avant, version électronique sans instruments, et Talk Talk d’après, avec instruments. Parce qu’à Montreux Colour of Spring déteint sur It’s my Life, disons que ça commence ici, au bord d’un lac sans vague comme les cymbales, disons que nous sommes un 5 avril, disons que Montreux cette année là est un 5 avril, puisque c’est forcément quelque part un 5 avril, dans la course de la Terre autour du soleil, nous savons où se trouve le 5 avril, le ciel nocturne bien précis d’un 5 avril, de tous les 5 avril, le W penché de Cassiopée est bas depuis cet endroit de l’espace et du temps. Un 5 avril dans lequel gêne encore un son dont on ne sait pas s’il est électronique ou naturel, maracas enroué, faible, qui va disparaître, quelque part dans cet album, Colour of Spring, pas tout de suite, pas dès la chanson suivante, mais à la fin, la fin du printemps, une ère, une saison, trouver le calme d’un lac, d’une note dont l’écho finit de résonner et s’éteint doucement sur le reflet d’une montagne, temps de vivre dans un autre monde, d’abandonner ce qui cogne sans faire de vague, temps d’aller créer des ondes sonores bien réelles, longues, qui prennent le temps d’aller jusqu’aux micros situés à plusieurs mètres, dans le studio de Londres que le soleil ne connaît pas, Give it up, 4:19, expiration, la batterie persiste mais quelque chose s’abandonne, la transformation va s’opérer lentement, Chameleon Day, premières dissonances franches, trompettes qui annoncent que c’est bientôt l’heure, et l’heure c’est l’heure, Mark Hollis ne le dira pas deux fois, aucune répétition ici comme dans Myrrhman des années plus tard, l’improvisation passe sombre sous le lac comme un monstre mythique, si nous cherchons, Time it’s time nous contredira, même s’il est toujours difficile de croire que la voix de Mark Hollis a pu soutenir autant de tubes, sa voix il faudra en parler, c’est l’instrument qui annonçait le basculement nécessaire, que tout était prétexte et qu’il fallait en arriver là, sa voix toujours paradoxe de la musique où elle était, et le temps dont il est question ici est la longueur démesurée de la dernière piste de Colour of Spring, 8:14, dont le fondu de fermeture final commence presque une minute avant la fin de la chanson. C’est long, de clore une ère. Et pour passer d’EMI à Polydor il faudra ces quinze secondes de silence pour ouvrir l’album, Laughing Stock, dont nous allons parler ici.
Article publié pour la première fois le 22 juin 2017, et sorti de la patine numérique le 15 octobre 2023 pour être lisible depuis cet article.